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Les annÃĐes 2019 et 2020 ont incontestablement donnÃĐ lieu à une grande promotion du droit de la concurrence au Maroc aprÃĻs la rÃĐactivation du Conseil de la concurrence tant lâactivitÃĐ de celui-ci a ÃĐtÃĐ et continue dâÊtre importante sous lâimpulsion de son PrÃĐsident Monsieur Driss Guerraoui. Les mÃĐdias ont ÃĐgalement contribuÃĐ Ã cette promotion en relayant lâactivitÃĐ du Conseil, sensibilisant de ce fait le grand public à des sujets et une matiÃĻre largement mÃĐconnus mais surtout au rÃīle clÃĐ devant Être jouÃĐ par lâinstance constitutionnelle quâest le Conseil de la concurrence.Les rÃĐactions quâa suscitÃĐ les dossiers des jetons de peinture et des carburants tÃĐmoigne de lâimpact du Conseil de la concurrence, de la totale dÃĐrÃĐgulation de certains marchÃĐs sur lesquels le Conseil se penche mais surtout, de lâexhaustivitÃĐ des sujets concurrentiels existants et dont les mauvais ÃĐlÃĻves ne pensaient pas devoir se soucier un jour.Pour rappel, la pratique des jetons de prÃĐsence au sein du marchÃĐ de la peinture, marchÃĐ au demeurant oligopolistique oÃđ deux opÃĐrateurs dÃĐtiennent prÃĻs des deux tiers des parts de marchÃĐ, consiste à introduire des jetons au sein des seaux de peinture que le peintre rÃĐcupÃĻre pour les ÃĐchanger contre de lâargent liquide, sans que le consommateur ne le sache ni que cet argent ne lui bÃĐnÃĐficie directement ou indirectement.
ConsÃĐquence ? des peintres qui privilÃĐgient les producteurs offrant les meilleurs jetons au dÃĐtriment de la qualitÃĐ, des clients payant un prix supÃĐrieur à la valeur de marchÃĐ du seau et une concurrence qui ne se fait plus par la qualitÃĐ et les prix mais par lâaviditÃĐ des peintres et les offrandes des producteurs. Le grand absent de ce bal est donc le consommateur qui nâa quâun rÃīle de victime au casting.
Le Maroc nâest pourtant pas un pays oÃđ la matiÃĻre est nouvelle car, bien avant la rÃĐactivation du Conseil de la concurrence en dÃĐcembre 2018, avant la promulgation de la Loi 104-12 relative à la libertÃĐ des prix et de la concurrence en 2014 et avant elle la Loi 06-99, le Maroc avait adoptÃĐ, au lendemain de son indÃĐpendance et dÃĻs 1957 le dahir n°1-57-342 sur la rÃĐglementation et le contrÃīle des prix.
Cette absence dâÃĐminence du droit de la concurrence par le passÃĐ me semble Être la rÃĐsultante dâun dÃĐveloppement post-protectorat qui imposait des mesures exorbitantes allant dans le sens de lâautonomisation de lâÃĐconomie marocaine et sa rÃĐappropriation par le Maroc sous lâimpulsion de lâEtat (ce qui correspond à la vague dite de ÂŦ Marocanisation Âŧ des industries clÃĐ) puis une vague de libÃĐralisation marquÃĐe par la sortie de lâEtat et dâautres opÃĐrateurs institutionnels au profit dâune concurrence totale entre opÃĐrateurs privÃĐs, nationaux et internationaux. LâÃĐvolution du secteur des carburants et la libÃĐralisation progressive des prix sont une bonne illustration du propos.
Aujourdâhui, la Loi 104-12 relative à la libertÃĐ des prix et de la concurrence est un formidable outil pour la rÃĐgulation de la concurrence au Maroc et constitue, aux cÃītÃĐs de la Loi 31-08 sur la protection du consommateur et dâautres lÃĐgislations spÃĐcifiques à certains secteurs dâactivitÃĐ, le cadre lÃĐgal concurrentiel auquel les opÃĐrateurs du marchÃĐ marocain doivent se soumettre et à lâintÃĐrieur duquel ils peuvent naviguer sereinement, ce qui ne peut quâamÃĐliorer la concurrence au Maroc tant la sÃĐcuritÃĐ juridique constitue le prÃĐalable à toute institutionnalisation de standards ou de bonnes pratiques. Comprenons ÃĐgalement que tout vide juridique ou zone grise sont des prÃĐcurseurs au dÃĐveloppement de mauvaises pratiques.
La place occupÃĐe par le Conseil de la concurrence sur les diffÃĐrents secteurs ÃĐconomiques et lâintense activitÃĐ relayÃĐe par les mÃĐdias nationaux et internationaux dans certains cas sont autant dâindicateurs de la prise dâimportance grandissante de la matiÃĻre et il faut sâen rÃĐjouir !
En effet, un marchÃĐ rÃĐgulÃĐ par une autoritÃĐ de la concurrence proactive qui, par ses diverses prÃĐrogatives consultatives, de contrÃīle, dâorientation et de sanction guide les opÃĐrateurs de marchÃĐ dans la comprÃĐhension du contexte dans lequel doit sâinscrire leur activitÃĐ et sanctionne leurs dÃĐviations ne pourra Être quâun marchÃĐ dans lequel la concurrence sâintensifie et sâassainit au bÃĐnÃĐfice ultime du consommateur. Par un effet vertueux dâune concurrence par les prix conduisant à lâaugmentation du pouvoir dâachat du consommateur, câest toute lâÃĐconomie qui sâen trouve renforcÃĐe.
Bien que lâadoption de la Loi 104-12, la rÃĐactivation du Conseil de la concurrence, la couverture mÃĐdiatique de son activitÃĐ, la conclusion dâaccords de coopÃĐration avec des autoritÃĐs de la concurrence internationales et lâorganisation dâateliers de rÃĐflexion soient des choses à louer, le travail de constitution de lâossature concurrentielle du Royaume est loin dâÊtre achevÃĐ.
Sur un premier volet, il reste au Royaume de se doter de sa propre jurisprudence en la matiÃĻre. Cela se fait sur la durÃĐe, il est comprÃĐhensible quâen moins de deux ans ce ne soit pas abouti, mais lâeffort doit Être investi en matiÃĻre de publication des dÃĐcisions du Conseil mais surtout des dÃĐcisions de la Cour dâAppel et de la Cour de Cassation en dernier recours. Il en va de la rationalitÃĐ de la pratique du Conseil et de la lÃĐgitimitÃĐ de ses positions tant au niveau national quâinternational.
En effet, là oÃđ le Conseil de la concurrence a ÃĐtÃĐ dotÃĐ dâun pouvoir quasi-juridictionnel lui permettant de prononcer des sanctions, la pratique fera que les dÃĐcisions du Conseil de la concurrence seront confirmÃĐes, infirmÃĐes et complÃĐtÃĐes en derniers recours par la Cour de cassation. Ce nâest que par cette voie que sera constituÃĐe une jurisprudence garantissant davantage la sÃĐcuritÃĐ juridique des opÃĐrateurs et la non-publication de ces dÃĐcisions serait une perte considÃĐrable pour les praticiens du droit de la concurrence et les opÃĐrateurs ÃĐconomiques.
A ce jour et cela est comprÃĐhensible, les professionnels mais aussi le Conseil de la concurrence parfois nâont dâautre choix que de se rÃĐfÃĐrer à la jurisprudence de lâautoritÃĐ française de la concurrence, à celle de la commission europÃĐenne ou encore à la jurisprudence espagnole sur certains points spÃĐcifiques. Cela peut se comprendre de maniÃĻre conjoncturelle et intÃĐrimaire mais ne doit pas devenir la norme tant les contextes politiques, ÃĐconomiques et sociaux ne sont pas les mÊmes dâun pays à lâautre. Rappelons que le domaine judiciaire est un espace dâexpression de la souverainetÃĐ du Royaume et quâil nâest pas bon que le travail lÃĐgislatif dâun Etat soit interprÃĐtÃĐ Ã la lumiÃĻre de la jurisprudence dâun autre Etat.
Sur un second volet donc, le Conseil de la concurrence doit sâÃĐriger en interprÃĻte de la Loi 104-12 au bÃĐnÃĐfice des opÃĐrateurs de marchÃĐ et des consommateurs pour clarifier les zones dâombres et fournir les outils de la pleine exploitation de notre lÃĐgislation.
A titre dâexemples, le DÃĐcret 2-14-652 pris pour lâapplication de la Loi 104-12 prÃĐvoit, au titre des documents à fournir pour un contrÃīle dâune opÃĐration de concentration ÃĐconomique, un tableau de prÃĐsentation des donnÃĐes financiÃĻres des entreprises concernÃĐes pour les trois derniers exercices clos.
En France, pays dont notre loi sur la concurrence est fortement inspirÃĐe, ce mÊme document qui est requis est fourni en tant que modÃĻle par lâAutoritÃĐ française de la concurrence. Sâappuyer sur ce modÃĻle se comprenait au lendemain de lâentrÃĐe en vigueur de la Loi 104-12 fin 2018 mais nâa plus lieu dâÊtre en 2020.
Autre exemple cette fois largement mÃĐdiatisÃĐ, la Loi 104-12 prÃĐvoit en son Article 39 que les sanctions pÃĐcuniaires doivent Être proportionnÃĐes (i) à la gravitÃĐ des faits reprochÃĐs, (i) à lâimportance du dommage causÃĐ Ã lâÃĐconomie, (iii) à la situation de lâentreprise sanctionnÃĐe et du groupe auquel elle appartient et (iv) à lâÃĐventuelle rÃĐitÃĐration de pratiques prohibÃĐes. Voilà donc quatre (4) critÃĻres devant Être pris en compte pour la dÃĐtermination dâune sanction pÃĐcuniaire pouvant atteindre 10% du chiffre dâaffaires mondial de lâentreprise en question ou du groupe auquel elle appartient. 4 critÃĻres sujets à interprÃĐtation et quantification dÃĐterminant une sanction pouvant atteindre les dizaines milliards de dirhams dans le cas de mastodontes mondiaux.
La rÃĐcente actualitÃĐ sur le dossier des carburants suivi par le Conseil de la concurrence fait ÃĐtat de plusieurs critiques de la procÃĐdure, notamment ÂŦ une interprÃĐtation tronquÃĐe et violation de lâarticle 39 de la loi relative à la libertÃĐ des prix et de la concurrenceÂŧ.
Abstraction faite de tous autres aspects du sujet, le texte de lâArticle 39 de la Loi 104-12, strictement similaire à lâarticle correspondant du Droit français, a donnÃĐ lieu à la publication par lâAutoritÃĐ française de la concurrence dâune grille dâanalyse opposable et fournissant à toute personne les moyens de calculer de maniÃĻre objective la sanction encourue par application des critÃĻres prÃĐcitÃĐs. Lâexploitation de cette grille a donnÃĐ lieu à une jurisprudence trÃĻs fournie et qui fait ÃĐtat de dÃĐcisions de la Cour dâappel de Paris ou de la Cour de cassation par lesquelles les sanctions prononcÃĐes par lâAutoritÃĐ de la concurrence ont pu Être rÃĐduites et la lecture de la grille affinÃĐe.
En revenant à notre situation, une telle grille nâexiste pas au Maroc et aucune jurisprudence nâa eu lâoccasion dâÊtre publiÃĐe en la matiÃĻre. Comment donc considÃĐrer que lâinterprÃĐtation de lâArticle 39 a pu Être tronquÃĐe lorsquâil nâexiste aucun outil dâinterprÃĐtation ? Certes la grille prÃĐcitÃĐe et la jurisprudence française existent, mais le Royaume et ses juridictions sont souverains et tant la grille que la jurisprudence française ou europÃĐenne peuvent Être purement et simplement considÃĐrÃĐs inopposables.
Cela ÃĐtant dit, mettre à jour notre dispositif nâest pas la seule prioritÃĐ car la matiÃĻre est extrÊmement ÃĐvolutive et lâexpÃĐrience internationale dÃĐmontre que les autoritÃĐs de la concurrence doivent jouer un rÃīle clÃĐ pour la rÃĐgulation de la concurrence au sein des nouveaux marchÃĐs. Cela a ÃĐtÃĐ le cas au lendemain de la crÃĐation dâinternet et continue de lâÊtre car le mouvement de digitalisation de lâÃĐconomie se poursuit toujours et a ÃĐtÃĐ fortement boostÃĐ par la pandÃĐmie du Covid-19 dans le monde. Autant de bouleversements auxquels le Conseil de la concurrence doit rÃĐagir pour favoriser la pleine concurrence et limiter les dÃĐviations des opÃĐrateurs ÃĐconomiques qui ne peuvent que se comprendre. LâintÃĐrÊt dâune sociÃĐtÃĐ est la crÃĐation de valeur pour ses actionnaires et lâintÃĐrÊt du Conseil est lâexistence dâune concurrence saine et bÃĐnÃĐfique au consommateur, pas besoin de dessin pour comprendre quâil sâagit là dâintÃĐrÊts structurellement divergents. Lorsque la norme concurrentielle existe, il est de lâintÃĐrÊt de la sociÃĐtÃĐ que de la respecter car leur violation entraÃŪne sanction et donc rÃĐduction de valeur. Lorsque la norme nâexiste pas, il est contraire à lâintÃĐrÊt de toute sociÃĐtÃĐ de sâimposer des limitations rÃĐduisant la valeur crÃĐÃĐe pour ses actionnaires.
Enfin, le Droit de la concurrence doit Être ÃĐrigÃĐ en matiÃĻre fondamentale au sein des UniversitÃĐs marocaines et le Conseil de la concurrence, le corps Professoral et les praticiens doivent contribuer à cet effort de formation et de sensibilisation car notre pays manque de praticiens spÃĐcialisÃĐs.
La matiÃĻre est aujourdâhui majoritairement assumÃĐe par des cabinets ÃĐtrangers, souvent français tant notre droit est similaire au leur et tant la pratique fournie de lâAutoritÃĐ de la concurrence et des tribunaux leur donnent une avance considÃĐrable sur le praticien marocain. Ce dernier se trouve limitÃĐ Ã la Loi, son dÃĐcret et quelques dÃĐcisions du Conseil de la concurrence relatives majoritairement au contrÃīle des concentrations et nâatteignant pas les centaines de pages riches en doctrine et jurisprudence que peuvent atteindre les dÃĐcisions de lâAutoritÃĐ française de la concurrence ou de la Commission europÃĐenne.